mardi 28 avril 2009

«Droit de mourir»: quels enjeux pour les personnes dépendantes? (La Croix)

Danielle Moyse Docteur en philosophie,chercheuse associée à l’Iris (1)

En 1999, c’est-à-dire longtemps avant que Rémy Salvat, qui était atteint d’une maladie orpheline dégénérative, ne se suicide le 10 août 2008 (le « droit d’être aidé à mourir » demandé au président de la République lui ayant été refusé), sa mère avait tenté de mettre un terme à la vie du jeune homme. Mise en examen, elle avait eu recours aux services d’une avocate qui avait obtenu un non-lieu. Cette avocate se trouve être également celle qui a défendu Lydie Debaine, jugée pour avoir tué sa fille sévèrement handicapée, âgée de 26 ans, et acquittée de ce meurtre par la cour d’assises du Val-d’Oise, le 9 avril 2008, avant que la cour d’appel de Versailles ne revienne sur cette décision et ne la condamne à deux ans de prison avec sursis, le 16 décembre suivant.

Après la mort de Rémy Salvat, l’avocate déclarait à juste titre que le jeune homme avait fait de son geste « un acte militant ». Après l’acquittement de Lydie Debaine, la juriste affirmait que celui-ci était «un premier pas vers une reconnaissance de l’euthanasie », et invitait le législateur à aligner la loi sur ce que semblait déjà préconiser, à son sens, la justice. Ces deux déclarations et le raccourci saisissant qu’implique la seconde ne nous invitent-ils pas à examiner les enjeux que soulève la question du « droit de mourir » au regard des « personnes handicapées », principalement quand elles sont dépendantes ?

S’il est en effet incontestable que RémySalvat(commeChantalSebire, de son côté) a non seulement fait connaître de façon claire qu’il voulait en finir, mais souhaitait faire de sa propre mort le fer de lance d’une future dépénalisation de l’euthanasie, ou au moins de l’aide au suicide, le passage à l’acte de LydieDebainen’estpasle résultat d’une demande de mort publiquement exprimée par sa fille. Aussi ce geste, son absolution juridique et les applaudissements (!) qui l’avaient accueillie n’avaientils pas manqué de soulever des inquiétudes. Le Collectif des parents contre l’handiphobie déclarait ainsi «comprendre d’expérience» que cette mère, livrée à elle-même par une société peu accueillante, «ait pu perdre pied », mais affirmait le désir d’entendre que son geste « n’est pas une solution, et ne doit pas en être une », les personnes handicapées ayant elles-mêmes « besoin d’être sûres que leur vie est autant protégée que celle d’une personne en bonne santé». Or il est malheureusement évident que l’acquittement de Mme Debaine pouvait être compris «comme un encouragement à l’atteinte volontaire à la vie des personnes handicapées », comme l’avait explicitement déclaré le procureur de la cour de Versailles pour justifier sa décision de faire appel.

Qu’une atteinte à la vie d’une personne handicapée puisse alors être considérée comme l’un des éléments qui convergent vers l’affirmation du « droit de mourir » ne révèle-t-il pas de façon troublante les dangers que ferait courir aux personnes dépendantes la reconnaissance de l’euthanasie? Le «droit de mourir » de ceux qui souffrent de maladie ou d’infirmité impliquerait-il déjà de façon plus ou moins consciente le droit de les tuer ? Le rapprochement abrupt proposé par l’avocate de la famille Salvat et de Lydie Debaine entre des revendications d’aide au suicide et le meurtre d’une jeune femme handicapée, quelle que soit la compassion que puisse susciter un pareil geste, relève-t-il de l’opinion isolée ou constitue-t-il la dérangeante révélation d’une position collective ? Ne fait-il pas apparaître le possible retournement d’un « droit » consacrant théoriquement l’ultime liberté de l’homme sur sa propre vie, en une mise en péril de la vie de ceux qui mettent précisément (par les limitations physiques ou mentales qu’ils incarnent) en échec le projet de toute-puissance de l’homme moderne ? Cette confusion inquiétante entre « droit de mourir » et « droit de tuer » ne laisse-t-elle pas entrevoir les difficultés d’empêcher le sournois passage de l’un à l’autre? Et, aussi longtemps que le «droit de vivre» quel que soit son état de santé ne sera pas affirmé, dans les actes comme dans les textes, avec autant de force que le « droit de mourir », comment pourrons-nous éviter l’insidieux glissement du « droit » au « devoir » de mourir, quand les sujets concernés seront encore capables de formuler ce qu’on ne manquera pourtant pas d’appeler leur « consentement éclairé » à ce qu’on mette fin à leur existence ?
"Les personnes handicapées ont elles-mêmes « besoin d’être sûres que leur vie est autant protégée que celle d’une personne en bonne santé »."

(1) Institut de recherche interdisciplinaire sur les enjeux sociaux, (CNRS, Inserm, EHESS).

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